Pour avoir suivi le déroulement des audiences au travers du blog de la Dépêche du Midi, je peux dire que le traitement de la chimie, lors du procès me laisse assez dubitatif.
C’est grave car la piste chimique ne peut être validée ou invalidée qu’en ayant une connaissance parfaite de la chimie des chloroisocyanuriques et de l’interaction entre ces espèces N-chlorées et les ions ammonium.
Que d’approximations!
Certes le sujet est complexe et difficilement compréhensible pour les non-initiés, mais la Science ne supporte pas l’approximation. C’est d’autant plus vrai dans un procès comme celui d’AZF où la recherche de la vérité passe par une parfaite connaissance des phénomènes chimiques mis en jeu.
La thèse officielle qui ne repose que sur un seul fait avéré (la découverte d’un sac vide de DCCNa anhydre dans le hangar 335), nous fait entrer dans le monde de l’imaginaire ( et en matière de spéculations on est gâté).
Même si le procès n’a rien d’une soutenance de thèse, les inepties chimiques n’y sont pas de mise. Dans ce domaine nous avons eu droit à un florilège d’erreurs , assénées avec une superbe qui laisse pantois. Tous les participants au procès ont pourtant eu huit ans pour se préparer.
Un exemple parmi tant d’autres, est la confusion systématique entre les chlorures Cl- et le chlore présent dans le DCCNa , ses produits d’hydrolyse et les chloramines (Cl+).
( les explications fournies lors du procès étant trop confuses, quand elles ne sont pas erronées)
La molécule de DCCNa , de formule chimique C3N3O3Cl2Na, contient 2
atomes de chlore au degré d’oxydation +1. En présence d’eau le DCCNa
anhydre passe sous la forme dihydrate C3N3O3Cl2Na,2H2O et s’hydrolyse
en générant de l’acide hypochloreux HOCl. L’acide hypochloreux contient
lui aussi, comme le DCCNa, du chlore au degré d’oxydation +1.
L’hydrolyse du DCCNa ne génère pas d’ions chlorure comme cela a été dit lors du procès!!
DCCNa + 2H2O = Cyanurate monosodique (CMS) + 2HOCl
L’hydrolyse du DCCNa est une réaction équilibrée régie par une constante d’équilibre qui définie la composition, à l’équilibre, du mélange DCCNa/eau/CMS/HOCl
L’acide hypochloreux est, lui-même en équilibre avec sa forme hypochlorite ClO-.
HOCl + H2O = ClO- + H3O+ (1)
Suivant la valeur du pH ( unité qui caractérise l’acidité du milieu), l’équilibre sera déplacé vers la gauche ( dans le sens de HOCl ) ou vers la droite (dans le sens de ClO-)
A pH compris entre 3 et 6 on n’aura pratiquement que la forme HOCl
A pH compris entre 6 et 9 on aura un mélange HOCl/ ClO-
A pH supérieur à 9 on n’aura pratiquement que de l’hypochlorite ClO-
Dans le cas d’un mélange « anhydre » DCCNa/ nitrate d’ammonium, l’absence d’eau fera qu’il n’y aura pas hydrolyse du DCCNa ni possibilité de formation d’ions ammonium en solution : de ce fait aucune réaction ne se produira.
En présence d’eau il y aura hydratation du DCCNa puis hydrolyse en HOCl et mise en solution des ions ammonium. On aura donc un milieu humide intergranulaire contenant HOCl et les ions ammonium qui réagiront entre eux pour générer des chloramines.
Au pH où on se situe, la teneur en ions ClO- est très très faible. La formation des chloramines se fera par réaction entre HOCl et NH4+. La réaction entre les ions hypochlorite ( présents en très petite quantité) et les ions ammonium est négligeable ( c’est d’ailleurs la réaction de N-chloration avec HOCl qui est la plus favorable et de loin vis à vis de celle avec les ions hypochlorite)
Les ions hypochlorite peuvent , contrairement à l’entité HOCl, ouvrir le cycle isocyanurique pour former des chloramines et du CO2. Compte-tenu de leur faible quantité, cet effet est négligeable.
A titre d’exemple un mélange contenant 100g de DCCNa et 500g d’eau n’entrainera, après 5h de mise en contact à température ambiante et sous agitation, que 0.04 % d’ouverture de cycle ; c’est à dire rien.
Avec HOCl , c’est donc la N-chloration des espèces azotées ( dans notre cas NH4+ ) qui se produit.
La réaction entre l’acide hypochloreux et les ions ammonium conduira, via trois réactions, elles aussi équilibrées, à la formation de la mono, di, trichloramine :
HOCl + NH4+ = NH2Cl + H3O+ (2)
monochloramine
HOCl + NH2Cl = NHCl2 + H2O (3)
dichloramine
HOCl + NHCl2 = NCl3 + H2O (4)
trichloramine
C’est ce qui se produit, par exemple dans les eaux de piscine lorsque le chlore actif est mis au contact de matières azotées ( essentiellement de l’urée ) apportées par les baigneurs (urine ou sueur). Les chloramines sont fortement lacrymogènes ; elles sont en grande partie responsables de l’odeur de chlore que l’on constate dans les piscines couvertes.
La nature des chloramines formées est fonction:
- de la valeur du pH
- du rapport molaire entre le Cl+ et les espèces azotées
Ceci n’est pas anodin. La présence possible ou non de NCl3 en découle.
Au-delà de pH 9.5 – 10 on n’aura plus possibilité de former du
NCl3. En-dessous, la largeur, en unités de pH, du domaine d’existence
dépendra du rapport molaire.
Ainsi lorsqu’on mélange de l’hypochlorite de sodium avec une solution ammoniacale, il n’y aura pas formation de NCl3 si le pH est ajusté à 12.5 par exemple . Dans ce cas : 3 NaOCl + 2 NH4OH N2 + 5 H2O + 3NaCl
Par contre si on se place, par exemple à pH 5, on formera des chloramines en fonction de ce qui a été dit ci-avant.
Dans l’atelier ACD de Toulouse, les effluents chlorés ( chlore Cl+) étaient ainsi réduits en chlorure (Cl-) avant rejet , à un pH strictement maîtrisé, compris entre 12.3 et 12.5, avec une solution aqueuse ammoniacale puis une solution de finition au sulfite de sodium . C’est dire la connaissance de la chimie du NCl3 que possédaient les personnels de Grande Paroisse.
La présence d’eau est donc une condition obligée pour produire du NCl3 à partir de DCCNa et de NA.
Comme François Barat l’a reconnu, il faut être, en plus, en milieu confiné
pour accumuler le NCl3 jusqu’à sa concentration explosive ( il a opéré
ainsi pour faire sa célèbre démonstration à partir d’urée et de DCCNa).
Le NCl3 se présente sous la forme d’un liquide huileux, très
volatil (on pourrait le comparer sur ce point au chloroforme). Sous
forme liquide, et à une concentration supérieure à 35% poids, la
trichloramine peut détoner sous l’action d’un choc, de la
température,...
NCl3 peut être distillé sous vide . Les vapeurs sont stables jusqu’à environ 93°C.
Maintenant que se passe-t-il lorsqu’on laisse du DCCNa au contact de l’air ambiant chargé d’humidité ? Il s’hydrolyse progressivement en surface avec formation d’une pellicule de CMS ( cyanurate monosodique) qui isole le coeur du produit vis à vis de l’hydrolyse. Le rapport molaire Cl+/Cycle isocyanurique reste égal à 2/1 au coeur duDCCNa. C’est pourquoi du DCCNa laissé dans ces conditions « sent » moins le chlore. Il suffit cependant de le remuer un peu et de casser cette pellicule de CMS pour retrouver immédiatement l’odeur de chlore.
Voilà pour la chimie.
Pour le reste la question de fond demeure et demeurera jusqu’à la fin du procès et après:
Y-a-t-il eu ou non déversement de DCCNa dans la benne qui a été vidée dans le box du 221 le 21/09/01 ? Si oui quelle quantité ? 10g, 1kg, 3kg ? Nous n’aurons évidemment jamais la réponse dans le cadre de la thèse officielle.
L’autre question qui se pose est la représentativité du tir n°24 vis à vis des conditions du box du 221.
Là il y a énormément à dire sur la constitution du sandwich et la
signification de l’explosion qui a été obtenue. Il faut aussi se poser
la question de la représentativité des conditions mises en oeuvre par
rapport à celles du box le jour de l’explosion.
Je pense qu’au travers de ce blog tout a été déjà dit à ce sujet ( nature du nitrate chargé dans la benne, teneur en eau de la couche de NAI à la base du sandwich, écoulement du DCCNa avant celui du nitrate contenu dans la benne , durée de 14s …); je ne vais donc pas y revenir.
"jmp"
Merci "jmp" de ces éclaircissements. Je souhaite cependant préciser que dans la mesure où Sabine Bernède, la journaliste de la Dépêche du Midi qui anime le blog du quotidien n'est pas chimiste, on ne saurait lui reprocher des "lacunes"...que des commentaires tels que le votre viennent combler.
JC Tirat
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